-- night of shooting stars (auden)
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Gamin curieux, rêveur. Le télescope qu’il avait déballé lors de son douzième anniversaire avait été une belle surprise. Une fascination pour la multitude d’astres qui s’offraient en spectacle le soir venu. Le mystère qui s’y rattachait, la promesse de l’inconnu et de l’immensité. Il reprenait tranquillement ses aises à Weymouth, se familiarisait à nouveau avec cette ville. Avec les visages qu’il avait également laissés derrière lui. Sa sœur – ou du moins, ce qui s’en rapprochait le plus – avait été une des personnes qu’il avait mis du temps à revoir. Nerveux, peut-être. Il savait au fond qu’elle finirait par comprendre les vraies raisons de son retour. Ce qui se cachait sous son congédiement, son divorce. Honteux, aussi. D’avoir laissé la distance s’imposer entre eux, par sa faute. Ils s’étaient éloignés, avaient perdu de cette complicité. Sa nièce qu’il ne connaissait pratiquement pas. Il avait beaucoup à rattraper, il le savait. Puis quand Isabel avait mentionné cet événement organisé afin d’observer la pluie d’étoiles filante, il avait suggéré sans hésiter de se joindre à elle ainsi que l’amie avec qui elle avait prévu s’y rendre. Il espérait voir le visage de Nea s’illuminer, qu’elle aurait la même fascination que lui avait eue. Peut-être aurait-il la chance de lui offrir son propre télescope lorsqu’elle serait plus âgée. Les mains enfouies dans ses poches, il marchait aux côtés d’Isabel et Nea. La température était clémente, parfaite. Il suivait aveuglément Isabel, ne sachant qui ils venaient retrouver. — "Elle est déjà arrivée ?", lui demanda-t-il en balayant du regard, sans réellement savoir ce qu’il cherchait. Une jeune femme et son enfant. Il n’en savait pas plus. Puis ses prunelles se posèrent sur l’un des nombreux kioske à boissons chaudes, un sourire étira ses lèvres alors qu’il se retournait vers Isabel. — "Restez ici, je vais aller nous chercher un truc à boire.", annonça-t-il en offrant un clin d’œil à sa nièce. Et il s’éloigna, les mains enfouies dans les poches, s’installer au bout d’une file d’attente. Il était plus effacé, timide. L'idée de rejoindre une amie de sa soeur ne l'avait pas dérangé, mais il réalisait qu'une certaine nervosité l'habitait. Peut-être qu'une boisson pourrait briser la glace plus rapidement, supposait-il. Ignorant que la glace avait été brisée il y a fort longtemps entre lui et cette amie.

L’échappatoire parfaite à cette solitude quotidienne qui l’étouffait. Elle n’aurait jamais même songé à s’y rendre, si Isabel ne lui avait pas suggéré de se joindre à elle. Il y avait un moment qu’elles ne s’étaient pas vues, chacune absorbée par les aléas de leurs vies respectives. Auden n’avait jamais réellement portée un intérêt particulier aux astres, mais la promesse de l’époustouflant spectacle qu’offrirait l’immensité du ciel, doublée à l’opportunité de revoir son amie, avaient réussi à la convaincre. Elle était en retard. Comme elle l’était souvent, depuis qu’elle avait Astrid. Incapable de gérer cette routine chaotique, chargée, avec toutes ces choses auxquelles elle devait penser, ne pas oublier. Elle arriva ainsi sur les lieux de l’événement, essoufflée, ses prunelles balayant la foule déjà installée, à la recherche de son amie. La petite, emmaillottée chaudement dans sa poussette, observait de ses grands yeux foncés tous ces gens qui les entouraient. Son sourire affichait deux nouvelles petites dents, les coupables de ces dernières journées épuisantes, chargées de pleurs incessant, puis d'un flagrant manque de sommeil, autant pour elle que pour Auden. La joie peinte sur ses traits rayonnants, ainsi que ses babillements, contrastaient avec son humeur maussade des derniers jours. Elle repéra rapidement Isabel, Nea à ses côtés. — "Désolée du retard, le doudou d’Astrid était introuvable.", s’excusa-t-elle rapidement, penaude, en arrivant à leur hauteur, notant l’absence de son frère qui devait les accompagner. Un sourire effleura ses lèvres, alors que déjà, son esprit assombri s’éclaircit. De les revoir lui faisait un grand bien. — "Tu vas bien? Ça fait si longtemps, on dirait qu’elle a encore grandit!", s’exclama-t-elle en désignant du menton la petite tête blonde à ses côtés. Cet énoncé trop entendu, qui bien que s’apparentant à une banalité pour meubler une conversation, était souvent une réelle constatation. Le temps filait à vive allure, et ces petits humains changeaient tout aussi rapidement. — "Ton frère ne devait pas se joindre à nous?", s’enquit-elle, ajustant le bonnet d’Astrid, qui avait glissé devant ses yeux. Bien qu’à Weymouth depuis deux ans maintenant, Auden se sentait souvent seule, très peu entourée. Elle accueillait ainsi avec intérêt les nouvelles rencontres, et était curieuse de rencontrer ce mystérieux frère qu’Isabel n’avait que vaguement mentionné, ne manquant néanmoins pas de l’intriguer.

Perdu dans ses pensées, songeur, alors qu’il observait un couple devant lui dans la file d’attente. La tête de la femme posée contre l’épaule de l’homme, lui, son bras autour de ses épaules. Rappelé à sa solitude. Son divorce. L’échec de son mariage était une évidence pour lui depuis bien avant que la divorce ne soit prononcé. Avant même sa liaison. Pourtant, il peinait parfois à l’accepter. Sans doute parce qu’il ne pouvait échapper à la constatation qu’il était le portrait de son père. Celui qu’il avait détesté pour ses infidélités, celui sur qui il rejetait le blâme du départ de sa mère. Les minutes passaient et, finalement, le couple quitta, boissons en mains, et ce fut son tour. Identifiant rapidement Isabel alors qu’elle lui faisait un signe de la main, Colin attrapa le plateau chargé des boissons qu’on lui tendait et se fraya un chemin jusqu’à sa sœur, désormais accompagnée. La silhouette d’une femme, de dos, ainsi que d’une poussette à ses côtés. Ce devait être elle, l’amie. Il sourit à Isabel alors que son regard fut attiré par un objet au sol, tout près de la poussette. — "Oh, vous avez perdu quelque chose.", dit-il alors qu’il se pencha pour attraper le doudou. Il releva ses yeux, aussitôt accueilli par le grand regard de l’enfant. Ses lèvres étirées en un sourire attendri, il remit l’objet à la petite. — "Je crois que l’on vient d’éviter une catastrophe…", ajouta-t-il en se redressant, posant finalement ses yeux sur la femme. La surprise évidente sur les traits de son visage, ses lèvres entrouvertes. Pourtant, incapable de prononcer son nom. Auden. Peut-être bloqué instinctivement par la présence d’Isabel. Habitué à feindre le rôle d’inconnus, de simples connaissances en public afin d’éviter tout racontar. Les interrogations se bousculaient dans sa tête, lui procurant une sensation de vertige. Il supposait qu’ils pouvaient désormais avoir des amis en commun, puisqu’elle s’était installée à Weymouth. Combien d’autres y en avait-il? Comment les deux femmes s’étaient-elles rencontrées? Il s’était souvent fait la remarque. Qu’elles auraient pu s’entendre. Pourtant il ne lui avait jamais parlé de cette seconde famille. Il ne savait pas pourquoi, d’ailleurs. Trop honteux, peut-être. Sachant qu’il n’appelait pas suffisamment, qu’il s’éloignait d’eux. Il déglutit péniblement alors que son regard se posait à nouveau vers la jeune enfant. Il essayait de déduire l’âge qu’elle pouvait bien avoir, alors que la scène de leur rupture lui revenait immanquablement en tête. Alors qu’elle lui répliquait être enceinte quand il avait annoncé mettre un terme à leur histoire. Lui, refusant catégoriquement de la croire.  Avait-elle pu lui dire la vérité?

isobel:

Auden acquiesça distraitement quand Isabel lui demanda à son tour si elle allait bien. Comme elle avait l’habitude de le faire, sachant se montrer suffisamment convaincante. On le lui avait incessamment répété, de profiter de chaque instant, mais ça ne l’empêchait pas de s’étonner constamment de la vitesse à laquelle le temps filait depuis l’arrivée d’Astrid dans sa vie. Elle grandissait à vue d’œil, et Auden n’avait pas de mal à croire Isabel quand elle affirmait que les deux ans de l’enfant arriveraient sans même qu’elle ne s’en rende réellement compte. Un sourire distrait étira ses lèvres, ses yeux posées sur sa fille qui babillait doucement, puis elle reporta son attention sur son amie. Elle lui indiqua que son frère était parti leur chercher des boissons. Elle se figea au son de la voix derrière elle. Elle l’aurait reconnue parmi mille. Prise d’un soudain vertige, les mains tremblantes, une boule au creux du ventre. Elle n’osait relever les yeux dans la direction du nouvel arrivant. Elle avait cette impression que le sol venait de se dérober sous ses pieds. Elle était confuse. Convaincue qu’il n’avait que son père comme famille à Weymouth. Elle se sentait à présent plutôt naïve de ne s’être jamais même arrêtée à imaginer qu’il puisse connaitre quelqu’un d’autre dans cette ville. Qu’ils aient des relations communes. Il ne lui avait jamais parlé d’une sœur, d’une autre famille en dehors de son père. Une autre facette de sa vie, gardée secrète. C’est au bout de plusieurs secondes, qui lui semblèrent interminables, qu’Auden parvint enfin à offrir une réponse à Colin, articulée difficilement, les mots coincés dans sa gorge sèche. — "Oh um, merci. C'aurait en effet été un cauchemar." Un rire nerveux s’échappa subtilement d’entre ses lèvres serrées, son regard, qui évitait obstinément Colin, était posé sur Astrid. Elle tentait en vain d’adopter une démarche naturelle, mais son inconfort était flagrant, tapissant ses traits, vibrant dans sa voix. Elle savait qu’il observait l’enfant. Elle devinait les questions qui se bousculaient dans sa tête. Il n’était pas aveugle, ni dupe. Sans nul doute avait-il fait le lien entre lui et Astrid. Son cœur cognait férocement dans sa poitrine, alors qu’elle peinait à garder son calme, aux prises d’une panique intérieure. De toute évidence, ce n’était ni l’endroit, ni le moment pour une telle révélation. Ce moment, celui qu’elle redoutait depuis qu’elle l’avait revu pour la première fois. Celui auquel elle n’aurait jamais même pu se préparer. Un bourdonnement incessant lui emplissait l’esprit, lui martelant le crâne, l’empêchant de réfléchir convenablement. Elle remarqua l’incompréhension sur les traits d’Isabel. L’identité du père de sa fille, la nature de leur relation, ce passé duquel elle ne parlait jamais. Son secret le mieux gardé, qu’elle n’avait révélé à quiconque depuis son arrivée à Weymouth, pas même à celles qu’elle considérait ses amies. Isabel qui ne devait, ne pouvait, pas comprendre, ne pouvait venir à son secours. Elle se sentait prise au piège, étouffée par ses mensonges. Elle aurait voulu être ailleurs. La fuite, cependant, était impossible. La tension alourdissait l’atmosphère, empreinte d’un indéniable malaise. Elle inspira un bon coup et tenta de contrôler le tumulte intérieur qui lui coupait le souffle. — "On devrait trouver une place où s’assoir…" Les seuls mots qu'elle put prononcer sans que sa voix ne craque. C’est à Isabel, qu’elle s’adressait. Elle ne pouvait le regarder lui, peinait à la regarder elle. Une suggestion absurde, alors que les présentations, quoiqu’inutiles n’avaient pas encore été faites.  

Il tentait de calculer, de réfléchir. Combien de temps avait pu s’écouler entre leur rupture, la durée d'une grossesse et l’âge que l’enfant pouvait avoir. Son estomac noué, sa tête embrumée. Il aurait voulu s’asseoir, s’agripper à quelque chose alors qu’il avait l’impression de tomber. Sa panique mêlée à son inexpérience auprès des enfants l’empêchait d’être certain. Il supposait qu’elle avait pu rencontrer quelqu’un après son départ. Quelqu’un pour lui changer les idées, pour s’occuper de son cœur meurtri. Pour l’oublier lui. Mais Colin savait, au fond. Il revoyait la façon dont elle peinait à soutenir son regard lors de leurs rencontres fortuites précédentes. Ce regard qu’il connaissait, qu’il avait offert à son épouse tout au long de son aventure avec l’étudiante. Le regard d’une personne qui cache un secret. On devrait trouver une place où s’asseoir. Ses lèvres pincées, sa mâchoire crispée. C’était donc tout ce qu’elle trouvait à dire? Son regard sombre obstinément posé sur Auden alors que cette dernière se refusait un seul coup d’œil en sa direction. Et finalement il osa regarder Isabel. Il réalisait à quel point la scène devait lui sembler étrange. La tension entre eux ne pouvait pas passer inaperçue. Elle était palpable. — "Semblerait-il que les présentations ne soient pas à faire. Je … Auden a été une de mes étudiantes." Le sourire assuré, jovial qu’il tentait d’afficher était tout aussi faux que maladroit. Peu convaincant. — "En revanche, je ne connais pas celle-ci…" Sa voix faible, presque tremblante. Un raclement de gorge pour le camoufler. Son regard de nouveau posé sur la bambine. Quel était son nom? Quand était elle née? Son cœur se serrait dans sa poitrine. Quand était-il devenu père? Il observait les traits de l’enfant timidement. Rapidement, s’efforçant de ne pas s’y attarder. Pour préserver les apparences, pour ne pas dévoiler ce tumulte qui le secouait. Son grand regard ne mentait pas. Le portrait d’Auden. Pourtant… Pourtant, il pouvait s’y retrouver aussi. Quelques photographies de son enfance qu’il n’avait pas vues depuis des années lui revenaient en tête. Pouvait-il se l’imaginer, cette ressemblance? S'accrochant à la pensée qu’il n’avait aucune confirmation, amer à l’idée d’ignorer quelle réponse lui convenait le mieux, au fond. Si l’enfant n’était pas le sien, Auden ne lui avait pas menti. Ne lui avait pas cruellement caché la vérité. Colin déglutit péniblement, sentant une colère monter en lui. Il aurait voulu être ailleurs. N’importe où, sauf là. Une rencontre qui aurait dû se faire en privé. Bien avant ce jour. — "Je crois qu’il y a plus de place par là-bas.", articula-t-il, la mâchoire serrée. Sans vraiment attendre une réponse des deux femmes, il leur tourna dos. S’accordant une grande inspiration, s’achetant un peu de temps. Pour réfléchir, pour se calmer. Il avançait lentement au travers des divers groupes rassemblés, réalisant pour la première fois qu’il tenait toujours le carton et les breuvages dans sa main.