-- coming clean (auden)
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Elle occupait la moindre de ses pensées. Jour comme nuit. Consciemment ou non. Elles accaparaient chaque instant, chaque songe. Il avait cru qu’elle se manifesterait, qu’elle viendrait lui annoncer la nouvelle d’une manière plus officielle, plus appropriée que ce qui s’était déroulé quelques jours plus tôt. Son téléphone jamais bien loin de sa main, son estomac se nouant au moindre tintement de l’appareil. Était-ce elle ? Il se sentait perdu, étourdit. Peinait à mener un semblant de vie normale, lui qui avait pourtant joué la comédie tout au long de leur idylle. Colin n’avait tenu bon qu’à la première période de classe. Prétextant une migraine pour excuser son mutisme et ses pensées embrouillées. Trouvant dans la poche de son manteau le jouet caoutchouteux alors qu’il cherchait ses clés de voiture. Ce jouet qu’il avait acheté le lendemain de la soirée des étoiles filantes, qui traînait au fond de sa poche depuis. Passant par hasard devant une boutique pour enfants. La curiosité l’avait poussé à y entrer. Il quittait l’école, sachant pertinemment où il irait.  Ils vivaient dans le même quartier. L’information maladroitement soutirée à Isabel l’avait laissé sans mot. Ils auraient pu se croiser plus tôt. Sans témoin, sans échappatoire. Il voulait la vérité, maintenant. Il frappait à la porte, son cœur affolé tambourinant contre sa poitrine. Il avait besoin de savoir, de comprendre. — "We need to talk." L’intonation de sa voix, ferme et autoritaire, le surpris alors que les mots s’étaient échappés de ses lèvres aussitôt que la porte s’était ouverte sur la silhouette d’Auden. La frustration et la colère qui montaient en lui le poussèrent à faire un pas vers elle, la forçant à le laisser passer alors qu’il glissait à l’intérieur de la demeure sans attendre une invitation formelle. Elle ne pouvait pas – ne pouvait plus – se défiler. Il n’y avait plus personne d’autre sur qui elle pouvait se coller, sur qui elle pouvait obstinément accorder son attention alors qu’il cherchait en vain son regard fuyant. La mâchoire serrée, il scannait rapidement la pièce du regard. L’enfant n’était pas là. Astrid. L’odeur familière, la chaleur aussi. Une pointe de nostalgie le ramenait à son petit logis hors du campus, celui où il était venu la voir clandestinement de trop nombreuses fois, se promettant toujours que ce serait la dernière fois. Il n’aurait jamais cru ressentir cet effet à nouveau ; sentir qu’il pénétrait chez elle. Enveloppé d’une impression familière. Il déglutit péniblement, passant sa main au travers ses boucles avant d’aller piger dans la poche de son manteau. — "I … I brought her, um Astrid, this. The lady at the store said it’s great for teething. She probably has something for this already… ", articulait-il, trahissant la nervosité qui cohabitait avec sa colère. Il était dépassé, étourdi. Un envahissant amalgame d’émotions qui le tiraillait. — "I don’t know… It didn’t feel right coming empty handed.", souffla-t-il en lui tendant le jouet, sa main légèrement tremblante. Encrant son regard sombre au sien. La colère, la vigueur avec laquelle il s’était rendu jusque-là s’étaient estompées. Peut-être parce qu’il ne parvenait pas réellement à se tenir droit devant elle. Son réflexe de vouloir la traiter avec délicatesse, de la protéger tenace. — "I need to hear it from you, Auden. She’s mine, isn’t she?" La question à laquelle il connaissait déjà la réponse. Bien sûr qu’elle l’était. Mais il devait l’entendre de sa bouche, besoin de faire taire ses pensées qui se bousculaient dans sa tête, qui filaient dans toutes les directions alors qu’il cherchait de s’expliquer une autre possibilité. Quelque chose qui lui semblait moins cruel que cette version où elle lui avait caché quelque chose de si gros, si important.

Elle savait, quand elle entendit le tambourinement contre sa porte. Elle savait que c’était lui. Dans sa poitrine son cœur cognait férocement, sa respiration saccadée. Aucun moyen d’y échapper, d’à nouveau se défiler. Elle inspira, puis expira longuement, tentant en vain de se calmer et de rassembler le courage qui lui serait nécessaire pour faire face à ce qui l’attendait. Elle peinait à contrôler le féroce tremblement de sa main, alors qu’elle se refermait sur la poignée de la porte. Ce moment qu’elle appréhendait, cette inévitable confrontation qu’elle regrettait à présent de ne pas avoir initié avant, bien avant, d’elle-même. Sans qu’il ait à venir à elle. Mainte fois elle avait tenté de trouver les bons mots, de formuler un message à lui envoyer, pour ensuite se rétracter. S’il y avait une chose dont elle était convaincue, c’est que le sujet se devait d'être adressé de vive voix. En personne, idéalement. Mais elle n’avait su faire le pas, n’avait pas eu le courage de l’affronter, terrifiée de l’impact qu’avait eu la révélation sur Colin. Terrifiée de subir sa colère, sa déception. Incapable de supporter le regard à la fois blessé et furieux qu'il poserait inévitablement sur elle quand elle oserait enfin lui admettre l’avoir trahi. À présent, elle n’avait plus d’autre choix que celui d’assumer ses torts. Quand Colin s’imposa dans sa maison sans attendre une invitation de sa part, Auden ne broncha pas, refermant la porte derrière lui sans un mot. Il avait raison, elle le savait. Ils devaient parler. L’attente, le silence, les mensonges, tous avaient duré depuis trop longtemps déjà. Elle tortillait nerveusement ses doigts et l’observait silencieusement, alors qu’il faisait rapidement le tour de la pièce des yeux. Les mots restaient coincés dans sa gorge, mais se bousculaient dans sa tête en un étourdissant chaos. Elle avait tant à lui dire et pourtant, elle ne savait comment entamer la conversation, envahie des émotions qui l’étouffaient. Puis la voix de Colin qui vint rompre la lourdeur du silence. Un imperceptible sourire valsa sur ses lèvres, alors que Colin lui tendait le jouet de dentition acheté pour leur fille. Momentanément attendrie par le geste, il décupla néanmoins son sentiment de culpabilité, qui rapidement reprit le dessus. Son timide remerciement fut prononcé tel un murmure. — "It's very… um, thoughtful of you. She.. she'll love it." Elle était hésitante, le regard toujours aussi fuyant, les mots échappés d’entre ses lèvres qui lui paraissaient faux, inutiles. Insuffisants. Peut-être aurait-il été préférable qu’elle ne dise rien. Elle n’avait rien de la jeune femme confiante et entreprenante qu’elle avait l’habitude d’être, affichant plutôt une déconcertante vulnérabilité teintée autant de ses incertitudes que ses remords. La perte totale de tous ses moyens. Puis vint la question qu’elle redoutait, qu’elle attendait. Cette question à laquelle elle s’était préparée, mais qui lui coupa le souffle. Ses paupières bordées des larmes qu’elle peinait à contrôler, ses lèvres tremblantes. Les mots restaient coincés dans sa gorge sèche, nouée. Elle acquiesça d’un long hochement de tête, le verdict tombant avant qu’elle ne parvienne à prononcer quoi que ce soit. Elle déglutit péniblement à la recherche de son souffle. Ce n’est qu’après ce qui lui parut comme une éternité qu’elle parvint enfin à lui répondre, la voix faible. — "Yah, she… she is. Astrid is your daughter.", souffla-t-elle.  Un poids énorme s’envola de sur ses épaules, sitôt les mots prononcés. La culpabilité, les remords, encore présents, mais le soulagement de cette vérité enfin révélée. Elle se mordilla doucement la lèvre, puis trouva son regard. Elle lui devait bien ça, d’enfin oser le regarder. D’enfin affronter ce qu’elle avait trop longtemps évité. — "I know I should've told you. I wanted to tell you. This is unforgivable. I just… " Elle s’interrompît, la voix brisée. Elle se mordait la lèvre inférieure, tentant en vain de ne pas craquer, de ne pas pleurer. — "I'm so sorry, Colin.", arriva-t-elle enfin à prononcer. Des mots qui, malgré leur sincérité, ne voulaient rien dire, n’excuseraient jamais ce qu’elle lui avait fait. Ce qu’elle lui avait volé.

Astrid is your daughter. Il le savait et, pourtant, la confirmation le surprit. Eut l'effet d'une bombe. Sa main agrippant fermement le dossier d'un fauteuil, son autre main se plongea dans sa chevelure bouclée. Il avait chaud, il avait l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Comme confus, étourdit. Comment? Comment avait-elle pu lui faire ça? À lui, mais à Astrid aussi. Avait-il laissé un goût si amer au cœur d'Auden qu'elle supposait qu'il ne pouvait que causer du tort à leur fille aussi? La voix d'Auden résonnait, mais il peinait à l'écouter. Ses excuses teintées de tristesse, de remords. Sa voix brisée. Stop. Souffla-t-il en un murmure. Elle devait arrêter de parler, arrêter de s'excuser. Parce qu’elle le déstabilisait, parce qu’elle lui fendait le cœur. Il était venu d’un pas décidé. Solide, prêt à avoir des réponses. Et il se sentait faiblir, ramollir à chaque battement de cils qu’elle effectuait. Parce qu’il savait au fond que ça avait dû être difficile pour elle aussi. Et que si ça n’excusait pas un tel secret, elle était aussi une victime dans cette histoire. — "I don’t understand. How?", articula-t-il lentement, tentant un regard vers elle. Ses prunelles sombres encrées aux siennes, s’efforçant de ne pas s’adoucir alors qu’il constatait la tristesse qui teintait ses grands yeux. Son cœur se resserrait dans sa poitrine alors qu’il déglutissait péniblement. — "How could you just keep her a secret from me? For this long … I … ", lui demanda-t-il, la confusion et la douleur évidentes sur les traits défaits de son visage. Il avait vécu l’abandon d’un parent. Elle aussi, d’ailleurs. Lui qui s’était juré de faire mieux, d’être mieux que ses parents étaient, une fois de plus, exactement à leur niveau. — "I would’ve helped. I would’ve found a way…" Ses sourcils froncés alors que son élocution était lente. Comme s’il doutait des mots alors qu’il les prononçait. Comment? Comment aurait-il aidé? Il lui aurait envoyé de l’argent en lui faisant promettre de ne rien dire, d’abandonner ses études jusqu’à ce que sa grossesse soit terminée? Aurait-il eu à expliquer à son enfant que, s’ils se croisaient dans la rue, ils devaient s’ignorer? Ça n’aurait jamais fonctionné, ils se seraient tous blessés, se seraient tous déçus. Peut-être qu’elle avait fait le bon choix, Auden, en élevant leur enfant sans lui. — "But you did tell me, didn’t you.", souffla-t-il stupéfait en se laissant tomber sur un fauteuil. Il se passait les mains sur le visage alors que les souvenirs lui revenaient en tête. Cette dernière et ultime visite à son appartement. Leur rupture. Elle le lui avait dit, qu’elle était enceinte. Et il était certain, absolument convaincu qu’elle mentait. Qu’elle essayait de le retenir d’une manière aussi désespérée qu’absurde. N’avaient-ils pas pris toutes les précautions nécessaires ? Lui qui avait réussi à mener cette double vie, lui qui avait réussi à dormir aux côtés de sa femme sans jamais qu’elle ne décèle le parfum d’une autre sur sa peau. Il n’avait jamais été imprudent avec Auden. Il revivait l’agacement que l’aveu avait provoqué en lui. Il lui en avait voulu de ne pas accepter leur rupture, il lui en avait voulu de s’accrocher à lui, de pleurer, de l’implorer de revenir sur sa décision alors qu’il avait peiné à lui annoncer, qu’il s’était arraché son propre cœur en plus du sien. Il aurait voulu qu’elle le gifle, qu’elle lui hurle de quitter son appartement sans jamais gaspiller une autre de ses pensées sur lui. Et, encore une fois, son plan avait échoué. — "I didn’t believe you … " Le ton implorant de sa voix sonnait comme des excuses. I’m sorry I didn’t believe you. De son index et de son pouce, il écrasa aux coins de ses yeux des larmes naissantes. Il était loin d’être prêt pour cette discussion, loin d’être aussi solide qu’il s’était cru.

How could you just keep her a secret from me? Elle se mordillait l’intérieur de la joue, pinçant sa lèvre inférieure entre ses doigts. Elle baissa le regard, ne pouvant plus supporter cette incompréhension qu’il avait dans les yeux, mais surtout, l’immensité de la douleur qu’elle décelait sur ses traits. Honteuse, désemparée, s'égarant dans les pensées culpabilisatrices qui se bousculaient dans sa tête. Les yeux à présent rivés sur le plancher, le cœur serré dans sa poitrine, ses entrailles formant un nœud qui semblait lui couper le souffle. Elle ignorait s’il attendait une réponse de sa part. Elle n’aurait pu lui en offrir une, même si elle avait voulu. Plongée dans un mutisme duquel elle ne parvenait à se tirer, la mâchoire tremblante et les larmes lui brûlant toujours ses paupières. À nombreuses reprises, elle entrouvrit la bouche, pour la refermer presque aussitôt. Comment pouvait-elle-même commencer à lui expliquer ce qu’elle avait traversé durant les deux dernières années. Sans lui donner l'impression qu’elle tentait en vain de se justifier. D’amoindrir ce geste délibéré et égoïste qu’elle avait commis. Elle n’avait jamais cherché à le punir, encore moins à se venger. Jamais son intention n’avait été de le faire souffrir en le privant de sa paternité. Ça n’avait été qu’un inévitable dommage collatéral. Si elle avait gardé sa grossesse secrète avant tout par peur, c’était surtout pour se protéger. Pour la protéger, elle. I would’ve helped. Qu’aurait-il fait différemment, s’il avait réellement su pour Astrid? Comment aurait-il été présent pour elle? Toutes ces questions qu’elle ne pouvait, n’osait, lui poser. Elle avait toujours accepté le rôle qu’elle tenait dans la vie de Colin. Sa maîtresse. Celle qu’il cachait, dont personne ne pouvait apprendre l’identité. Son secret. Relayée au second plan. Elle ne pouvait cependant accepter que sa fille, leur fille, ne devienne aussi un secret de Colin. Qu’elle soit elle aussi une simple figurante dans sa vie. Elle en était encore à chercher les bons mots quand Colin se laissa tomber sur un fauteuil, dans une nouvelle constatation. But you did tell me, didn’t you? Son cœur accéléra contre sa poitrine. La voie de la facilité, l’occasion de se défiler. Un mensonge de plus qu’elle ne pouvait pourtant pas se permettre, aussi ardue la vérité serait à prononcer. Elle fit un pas prudent dans sa direction, déglutit difficilement, les yeux à présent rivés sur lui. Cette vulnérabilité qu’il affichait lui tordait le cœur, alors que sa seule envie était de le serrer contre elle, de le rassurer. Mais une étreinte ne viendrait pas réparer ce qui s'était brisé entre eux. — "I lied.", parvint-elle à prononcer à mi-voix, s'efforçant de le regarder alors qu’elle l’assénait d’une autre révélation. Incapable de lui mentir une fois de plus. Incapable de le laisser prendre sur ses épaules le poids d’une culpabilité infondée. — "I mean, I was pregnant. I just didn't know at the time... I only found out later. By that time, you'd already made your decision...", laissa-t-elle tomber dans un léger haussement d’épaules. Un soupir s'échappa d’entre ses lèvres tremblantes. — "I told you I was pregnant. Whether you thought I was lying or not doesn't change the fact that you rejected me, Colin." Se justifia-t-elle d’une voix lente, secouant doucement la tête. Consciente que ça n’excusait rien. — "I was terrified, hurt and angry. You broke my heart. What was I supposed to do? I eventually realized I couldn't hide our daughter from you. That she needed her father in her life. But the more time passed, the less I knew how to tell you the truth." Le timbre de sa voix n’était pas accusateur, mais désemparé. La douleur accumulée au fil des dernières années qui refaisait surface. Les mots prononcés sans qu'elle ne puisse s'arrêter. Elle chassa du revers de la main une larme qui s’était évadé sur sa joue. Elle s'approcha du fauteuil, sa main se posant doucement sur l’accoudoir. Si près de son bras, ses doigts qui auraient pu l'effleurer, mais elle demeurait immobile. — "I never meant to hurt you...", souffla-t-elle, à défaut de s'excuser une énième fois. À défaut de savoir quoi dire de plus. À défaut de savoir comment lui faire comprendre qu'elle avait besoin de lui. Elles avaient besoin de lui, toutes les deux.

I lied. L’aveu tout simple, deux mots à peine, et qui pourtant déclenchait tout un tumulte en lui. Il avait donc eu raison, il ne s’était pas trompé. Il n’avait pas pu savoir ce qu’elle-même ignorait, la vérité insoupçonnée derrière ce mensonge. La culpabilité qui l’écrasait, qui semblait l’empêcher de respirer depuis les dernières minutes s’estompait finalement. Un répit qui ne dura qu’une fraction de seconde, une simple accalmie avant que le tempête, la vraie, ne s’abatte sur lui. By that time, you’d already made your decision. La réplique assassine. Il ignorait si un second aveu aurait pu changer quoi que ce soit pour eux. Il l'aurait crue, il en était convaincu. Parce qu’elle n’aurait pas rompu ce silence pour une simple fausseté. Mais qu’aurait-il fait différemment? Il peinait à se reconnaître dans ce récit, peinait à accepter ce rôle qui était pourtant le sien. Lui qui avait toujours voulu bien faire s'était retrouvé à tout faire de travers. Avec sa femme, avec Auden. Avec leur enfant. I was terrified, hurt and angry. You broke my heart. Il pouvait l’imaginer. Seule, triste. À vivre le deuil de cette relation qui n’avait jamais existé au yeux du monde. Parce que lui aussi l’avait fait ce deuil, prétextant que la vie continuait, que la seule chose qui comptait ne s’était pas éteinte. Il se mordillait la lèvre, bougeait nerveusement son pied. La honte qui l’habitait était un rappel à l’ordre. Dur, brutal. Il s’était donné le beau rôle, s’était convaincu qu’il avait fait la bonne chose. Il s’était trompé, encore. La colère qui l'habitait auparavant l'avait quitté. Il était triste, honteux. Il avait sa part de responsabilité dans l'équiation, il le savait. Elle s’approchait de lui, mais il n’osait pas relever le regard vers elle. Ne voulait pas être confronté à son reflet dans ses grands yeux. Parce qu’il réalisait que chaque fois qu’il avait voulu bien faire, c’était toujours elle qui avait écopé. Elle qui était usée, gardée pieusement secrète. Elle qu’il avait quittée alors que son cœur lui appartenait pourtant. Il la blessait, l’abandonnait malgré lui. — "If it weren't for us running into each other ... I still wouldn't know about her.", souffla-t-il faiblement. Une constatation plus qu'un reproche. Elle n’avait pas choisi de lui dire. La révélation s’était imposée à elle. Aucune échappatoire. — " We saw each other twice since I've been back, Auden. Twice. Both times you didn't say a word... What was your plan? Pack your things and find another place to live? Hope that I'd never connect the dots or see her?", demanda-t-il, les sourcils froncés. Une grimace teintée de tristesse déformait les traits de son visage. Un mouvement presque imperceptible alors qu'il secouait la tête, incrédule. — "She looks so much like you... Like us." Le constat à peine audible qui glissa d’entre ses lèvres, pensivement. Le regard singulier qu’elle partageait déjà avec sa mère. Ses propres traits aussi. Son cœur se nouait alors qu’il la savait à l’étage. Il était venu pour obtenir des réponses, pour la voir. Pourtant, il se sentait nerveux, ne savait pas s’il en serait capable. — "I wasn’t rejecting you. I thought was protecting you. I … I couldn’t stand to keep you a secret anymore, to make you some married idiot with a mid-life crisis’ mistress. I wanted to keep you out of this fucking mess." Son ton faible, frôlant le désespoir. Son regard obstinément rivé sur sa main posée tout près de son bras. Il avait besoin de se justifier, besoin qu’elle comprenne son point de vue. Elle ne comprendrait sûrement jamais ce qui l’avait poussé à rester si longtemps auprès de sa femme. Mais elle devait comprendre qu’il n’avait jamais voulu la blesser. — "But it was already too late. I'm sorry.", conclut-il finalement en un soupir. Ses yeux trouvèrent enfin les siens, se laissant perdre dans leur immensité, dans leur profondeur. Ce qui avait été un rejet, un abandon pour elle, avait plutôt été un sacrifice pour lui. Sacrifier son bonheur auprès d'Auden pour réparer ce mariage brisé par sa faute. Sacrifier son coeur pour la sauver, la sortir de cette relation sans issue, qui finirait par la blesser tôt ou tard.

À une époque, les yeux à la fois doux et profonds de Colin étaient un remède à tous ses maux. Un regard enveloppant et rassurant dans lequel elle se perdait, s’apaisait instantanément. Elle s’entêtait à le chercher, ce regard jadis apaisant, sachant pourtant pertinemment que ça ne serait jamais plus comme avant. Qu’elle n’y trouverait plus que cette douleur, cette tristesse qu’elle lui avait infligée. Qu’elle ne pouvait plus compter sur lui pour être réconfortée. Ses yeux demeuraient néanmoins rivés sur ses traits dont elle étudiait les moindres mimiques. Les lèvres serrées, sa silhouette tremblante, les mots toujours coincés dans la gorge alors que chacune des paroles prononcées par Colin l’ébranlait, la paralysait. What was your plan? Pack your things and find another place to live? Elle eut un imperceptible mouvement de recul suite à l’accusation, puis les sourcils froncés, elle déglutit difficilement. Elle aurait voulu se défendre, lui faire comprendre que son intention, depuis qu’ils s’étaient revus, n’avait jamais été autre que celle de lui avouer la vérité. Parce qu’elle le lui devait, parce qu’il avait droit de savoir, parce que les mensonges avaient assez duré. Il était son secret le mieux gardé, son identité qu’elle n’avait jamais révélée à quiconque. Nombreuses étaient les fois où elle avait habilement esquivé la question, préservant cette aura mystérieuse entourant la véritable identité du père de sa fille, se cachant derrière un silence impénétrable ou d’anodins mensonges. Il n’y avait qu’à elle qu’Auden n’avait jamais prévu cacher la vérité. Astrid. Elle était évidemment trop petite pour comprendre, mais maintenant qu’il était là, il n’y avait plus d’autre option envisageable que celle de l’introduire dans sa vie. Dans leurs vies. S'il le voulait bien. She looks so much like you... Like us. L’ombre d’un sourire, qui l’espace d’un instant, vint tirailler la commissure de ses lèvres. Prise de court par cette constatation de sa part. Il n’avait pas tort. Astrid était ce parfait mélange de leurs traits, et si elle tenait d’elle ses grands yeux, c’était davantage Colin qu’elle voyait quand elle la regardait. Un pincement au coeur quand il s'excusa et justifia leur rupture. Puis leurs regards qui pour un instant, ancrés l'un à l'autre, lui donna l'impression que le temps s'était arrêté. — "It’s all in the past now, and we can’t change how things went down for us… but for what it's worth, I chose this mess, Colin, I knew exactly what I was getting myself into. I'm sorry it had to end the way it did, but I get it.", dit-elle dans un léger haussement d’épaules, un soupir s’échappant d’entre ses lèvres. C’était le passé, il n’y avait aucun retour possible sur ce qu’ils avaient traversés, ce qui les avait mutuellement brisés. Ils étaient, au fond, sortis tous deux perdants et écorchés dans cette histoire, qui pourtant n’aurait pu avoir une autre issue. Elle comprenait, maintenant, qu’il l’avait fait pour elle. — "We both did what we thought was best…", continua-t-elle, dans un murmure. Lui, en mettant fin à leur aventure. Elle, en lui cachant la vérité sur sa grossesse. Des décisions déchirantes, qui ne semblaient faire aucun sens, qui paraissaient égoïstes, et qui pourtant n’avaient été prise qu’en espérant épargner l’autre. Ses doigts vinrent effleurer doucement son bras, puis se rétractèrent presqu’aussitôt, comme prise en faute. Une proximité qu’elle ne pouvait se permettre. À nouvau, son coeur cognait férocement contre sa poitrine. — "I never indented for you to find out this way. I wanted to tell you, I was going to tell you. I didn't know how. Both times didn't seemed like the right time.", se justifia-t-elle à mi-voix, une fois de plus, consciente qu'il n'y aurait jamais eut de bon moment. Elle marqua une pause, puis s’aventura maladroitement sur ce sujet qu’elle ne savait comment aborder. — "I… I know it’s a lot to process, and I can’t make up for the lost time, but if you want to be a part of Astrid’s life… If you’d like to meet her… you’re more than welcomed here." La nervosité vibrait dans le timbre de sa voix, la proposition entrecoupée d’hésitations. Elle n’osait plus le regarder, se tortillant nerveusement les doigts, consciente que rien ne viendrait effacer ce qu’elle lui avait volé, que rien ne pourrait compenser pour le temps perdu. Qu’il ne lui pardonnerait probablement jamais. — "If there’s anything you’d like to know…" La phrase interrompue, l’offre en suspens, Auden qui ne voulait pas le brusquer, mais qui était prête à tout pour lui permettre de créer un lien avec sa fille, en dépit de cette rancœur qu’il devait éprouver à son égard.

We both did what we thought was best. Un léger hochement de tête. La véracité de ses propos n’était cependant pas accompagnée d’un quelconque réconfort. Simplement le triste constat qu’il n’y avait, finalement, aucune autre issue pour eux. Une peine, une trahison, une déception inévitables. Cette pensée qui lui martelait l’esprit. Il avait quitté Auden pour fonder une famille avec sa femme. Un plan aussi désastreux que désespéré. Il la quittait pour fonder une famille alors qu’il ignorait en avoir créé une avec elle. L’ironie accablante le fit presque rire. Il était encore si tôt. Il aurait pu prendre sa place auprès de sa fille et elle n’aurait sans doute aucun souvenir de son absence. Mais pourtant il lui semblait finalement arriver si tard, trop tard. Lui semblait avoir manqué tellement de choses. Les paroles d'Auden tournaient en boucle dans sa tête tourmentée. I chose this mess. Ses remords peu apaisés. Lui n’avait pas choisi, pas compris. Il ne savait pas qu’il s’attacherait à elle, qu’il en tomberait amoureux. Son seul réconfort résidait dans le fait que maintenant elle savait qu’il n’avait jamais voulu la blesser, que derrière leur rupture se cachaient de bonnes intentions. Ils savaient désormais tous les deux qu’ils avaient du mieux qu’ils avaient pu avec le bordel dans lequel ils s’étaient mis. Qu’ils n’avaient été que leurs propres dommages collatéraux. Le frisson qui parcouru son bras au faible contact des doigts d’Auden sur sa peau le rappela à la réalité. Elle avait raison, une fois de plus. Leurs retrouvailles avaient été chaotiques et complexes. Il ne pouvait imaginer la tournure qu’elles auraient pris si Auden lui avait tout révélé dès le départ. Et il réalisait peu à peu que la colère qui l’avait emmené ici était peut-être dirigée vers lui-même plutôt qu’elle. Quand il osa la regarder à nouveau, il put constater toute sa nervosité. Ses doigts qui se tortillaient, l’hésitation dans sa voix. Elle semblait si fragile, si douce. Si différente de l’étudiante qui se plaisait à le toiser d’un regard défiant, intimidant. Pourtant, il la reconnaissait. Parce qu’ils s’étaient dévoilés l’un à l’autre. Quand ils étaient seuls, quand ils en oubliaient le reste. Elle et lui et son petit appartement à Oxford. — "I don’t know … Everything.", souffla-t-il, dépassé. Un léger sourire étirant faiblement les commissures de ses lèvres. Tout. Il voulait tout savoir. Il ne pourrait jamais rattraper tous ces moments, revoir tout le chemin qu’elles avaient parcouru. Il le savait. C’était étourdissant, ça lui donnait presque le vertige. Mais les questions se bousculaient sans qu’il ne puisse réellement en retenir une seule pour lui poser. — "It's so hard to wrap my head around it... I'm a father. We have a child." Les sourcils froncés, un amalgame d'émotions tourbillonnant en lui. Il releva les yeux vers elle, un sourire naissant timidement à ses lèvres. — "I want to do the right thing, Auden. You seem to be doing just fine doing this on your own but... you don't have to. Not anymore. I'll be here. For her... For the both of you, if you’ll let me." Ses mots accompagnés d'un hochement de tête, d'un air concentré et sérieux. Il le pensait. Il serait là. Et, enfin, ses décisions n'étaient pas simplement dictées par son sens du devoir, par son besoin de faire les bonnes choses, son désir de se racheter. Il serait là, parce qu'il le désirait. Enfin, son cœur et sa raison lui dictaient la même chose. Il soupira, réalisant l'ampleur de ce qui l'attendait, ce qui les attendait. Il se doutait qu'elle avait dû supporter des regards, des jugements. Une si jeune mère. Et il savait qu'il ferait face aux jugements aussi, que ce qu'il s'était battu pour garder secret serait révélé au grand jour. Le fils marchant dans les traces de son père. Les Parrish et leurs infidélités, ces clichés ambulants.

I don’t know … Everything. Tout ce qu’il avait manqué, qu'elle ne put s'empêcher de penser. Par sa faute. Elle lui en avait voulu longtemps, blessée, humiliée, le cœur ravagé. Perdue, seule, avec personne vers qui se tourner. La rancœur et la colère qui dominaient, mais qui pourtant finirent par s’estomper. Bien qu’elle s’était convaincue que cette page de sa vie était tournée, il lui arrivait de penser à lui. Plus souvent qu’elle n’osait l’admettre. Elle avait pensé à lui, lorsqu’elle l’avait entendu pour la première fois, ce petit cœur qui battait en elle. Elle avait une pensée pour lui quand cette vie qui grandissait en elle s’animait doucement dans son ventre arrondi. Cette vie qu’ils avaient créée ensemble. Cette partie d’elle, mais de lui aussi. Ces moments magiques qu’elle vivait pourtant seule. C’était vers lui qu’elle aurait voulu se tourner, quand entre deux prénoms elle avait hésité à la sortie du rendez-vous qui lui avait confirmé que c’était une petite fille qu’ils avaient créée. Une copie de l’échographie, qu’elle avait pensé lui envoyer, mais qui aurait été un aveu aussi lâche qu’insensé. Il avait toujours été là, quelque part entre son cœur et sa tête. It's so hard to wrap my head around it... I'm a father. We have a child. Cétait un énorme poids qui s’envolait de ses menues épaules, une libération, de l’entendre prononcer ces mots. Son secret qui n’en était plus un. Son acceptation de ce rôle qu’elle lui avait caché. Le léger sourire qui étirait à présent les lèvres de Colin, bien que rassurant, ne suffisait pourtant pas à apaiser la tempête qui grondait en elle. Convaincue qu’elle ne méritait pas son support alors qu’il se proposait pour l’aider, pour être là pour elles. Elle se trouvait égoïste, une torture mentale de même oser le penser, incapable de l’accepter, mais elle avait besoin de lui. Les lèvres tremblantes, les paupières perlées de larmes. Si seulement il savait. Si seulement quelqu’un savait. Elle déglutit difficilement puis pencha la tête, les yeux à présent rivés au sol. — "I’m not. Doing justy fine." Elle s’interrompit, la voix brisée, un sanglot étouffé au creux de sa gorge. L’aveu qui pour la première fois franchissait ses lèvres. Elle n’y arrivait pas. Bien au contraire. Épuisée, croulant sous la constante impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas être assez. Fatiguée comme elle ne l’avait jamais été, souffrant en silence de ces nuits au sommeil interrompu qui s’accumulaient. Elle se sentait seule dans ce rôle qui souvent l’étouffait, écrasée sous le poids de ses incertitudes. — "I try. I do my best, but the truth is… This is so hard, Colin. I have no idea what I’m doing.  I feel so... overwhelmed and alone most of the time." Un soupir s’évada d’entre ses lèvres, alors qu’elle n’osa relever les yeux. Elle se mordillait l’intérieur de la joue, bouleversée, ses émotions à présent incontrôlables. — "Anyway, um.. Thank you. For being so understanding. For being here for us, despite everything.", souffla-t-elle, avant de s’éloigner de lui. Elle se dirigea soudainement vers une bibliothèque à l’opposé de la pièce, dans l’espoir que cette distance entre eux lui permettrait de se ressaisir. De reprendre le contrôle. Elle y attrapa un gros bouquin qu’elle serra contre sa poitrine, puis laissa un long soupir s’évader d’entre ses lèvres avant d’à nouveau s’approcher de Colin, ses yeux rencontrant enfin les siens. — "It’s not everything. But it’s the best I can do.", avoua-t-elle en lui tendant maladroitement un épais album pastel. Elle avait tout documenté. Des pages noircies d’annotations, de dates et d’événements importants. Des centaines de photos précieusement gardées en prévision de ce moment. Celui où enfin il serait là. C’était tout ce qu’elle pouvait lui offrir, à défaut d’avoir su lui dire la vérité à temps. Un ramassis de souvenirs sporadiques, des tonnes d’instants immortalisés. Un imperceptible sourire au coin des lèvres, alors qu'elle l'invitait à découvrir, à connaître, son parcours menant à ce qui était à présent sa famille.